• Motocassoulet 0004 - Montélimar, la mer, Dieu.

     

    Le style est souvent digne d'une farce de collégien : je n'ai pas voulu le retoucher, sans craindre le ridicule, par  flemme mais en prétextant l'honnêteté. Ceux que ce style irrite devraient lire  "Cent ans de solitude", de Gabriel Garcia Marquez. C'est vachement mieux.

     

    Mercredi 22 février.

    Départ de Montélimar à 5 heures 17.

    Suite à des louvoiements d’amplitude croissante de ma motocyclette, avoisinant à la fin les deux pieds, escale technique sur l’autoroute. Une expertise rapide met en évidence une dégonflure  regrettable de ma roue arrière droite. Christian, que rien n’arrête, me fournit illico une bombe anti-crevaison, dont je transfère 47% du contenu dans l’organe malade, qui retrouve apparemment une franche santé. Mais arrivé au port de Marseille, je constate la perte totale d’air dans le pneu, ce qui nous oblige à prévoir dès l’arrivée à Tunis une intervention de l’assistance technique.

    11 heures 40.

    Achaisés sur le pont arrière du Habib, nous échangeons des points de vue sur l’angle droit et les émeus, avant que je prenne la plume d’une main perturbée par la trajectoire cylindro-hélicoïdale symétriquement au plan osculateur que les mouvements houleux du bateau lui impriment alternativement.

    Beau temps brumeux, pas trop de pluie.

    12 heures 54.

    Assis dans le sens de la marche, je sens mon dos plaqué sur le dossier défoncé par une brusque accélération. Je m’inquiète, Christian me rassure :

    Nous venons d’atteindre le sommet de la mer, et les machines, soulagées par la pente qui s’offre au bateau déchaîné, accélèrent brutalement leur allure.

    Je ne lui réponds pas que cette accélération est compensée par celle de nos corps entraînés eux aussi dans cette chute folle vers les côtes africaines.

     

     13 heures 45

    Le château Mornag (AOC tunisien, rosé, mis en bouteille par l’UCCV) était bon. Le repas est copieux (beaucoup d’arêtes dans le poisson). Les vibrations des moteurs accompagnent notre repas du doux tintement des couverts sur les tables et des faux plafonds sur leurs supports, en même temps que par un effet purement mécanique elles participent à notre digestion.

    Nous buvons le café, entourés de Tunisiens. Certains ont l’air arabes, d’autres ont la mine réjouie des gais touristes teutons repus, quoique crispés par l’absence de leurs Turcs familiers. Un déserveur, chargé de ranger les plateaux sales sur le chariot idoine, pousse la conscience professionnelle jusqu’à finir les gobelets de vin avant de les coucher sur les plateaux souillés. Quel grand art !

    l’horizon n’est pas aussi uniforme que ce que pourrait en dire le marin averti : le spectacle qui s’offre tout nu à nos yeux avides confirme les théories de Christian sur le relief maritime : de hautes dunes pélagiques viennent à l’horizon dissoudre la linéarité de l’interface air-eau, remettant en question les principes couramment acceptés de la statique des fluides occidentale, à moins que, comme Christian me le suggère en se parjurant, l’ordonnancement particulièrement hétéroclite des molécules de la vitre bon marché nous isolant de l’air extérieur dévie de façon tellement anarchique les rayons lumineux que nos regards fourvoyés voient une courbe là où l’horizon marin nous fournit des photons bêtement alignés.

    Autour de nous, une tripotée de sémites s’agite sans avoir à l'esprit que c’est leur civilisation qui a inventé le zéro, summum de l’abstraction. C’est le zéro qui distingue l’homme de l’animal et de la femme (quoique certaines femmes sont nulles).

     

    16 heures 33.

    Christian m’affirme que pour un chameau qui n’a pas bu depuis quatre jours, boire dix litres d’eau c’est comme pour nous autres humains boire une bière.

    Je me demande sur quels critères il s’appuie pour affirmer cela aussi péremptoirement.

     

     20 heures 52. [Suivent quelques lignes incompréhensibles. Mais par respect envers moi-même, je les maintiens. Au milieu de la mer, je ressentais déjà le mal du désert, proche de ceux de l'altitude ou des profondeurs, et qui manifestement perturbe les neurones.]

    Vîmes, depuis précédence, commerçant tunisien direct de France où vécut à lille puis à paris, de Tunis dont parents à Jerba, où passe régulière période de vacance. Vaquait ce jour à une table autour de tasse où vibrait un liquide beigeâtre, quand l’interrompis dans sa touillante rêverie pour m’enquérir de sa connaissance éventuelle du jujubier, dont exemplaire marquant est réputé se contempler auprès Tozeur. La négativité de sa réponse m’enhardit à lui demander quelque explication relative à l’alphabet arabe.
    Déplaçant ses tasse et accessoires ainsi que lui-même d’un mouvement décomposable en translations et rotations diverses, il vient s’asseoir auprès de nous de telle sorte que nous formons de nos centres de gravité un triangle isocèle dont je suis malgré moi le sommet remarquable. L’alphabet arabe ayant devant nous dévoilé une part de ses secrets, décidons qu’il est temps d’en finir : nous n’en saurons jamais assez. Abordons alors le Coran et l’Islam, où comprenons que le voleur à main décapitée ressent telle honte qu’il ne recommence pas, en application du principe selon lequel ce qui est difficile à faire d’une seule main est impossible à faire de deux moignons. Le malfaiteur trop efficace se retrouve en enfer, émasculé par pendaison de sa tête, car la prison l’ennuie. Le commerçant accepte que la société tue mais ne veut pas tuer de sa main, néanmoins affirmant avec conviction qu’on s’y à la longue fait, et que c’est la première fois la plus dure, citant l’exemple d’un chauffeur de bus qui à ses heures perdues, fonctionnarisé bourreau, pend les malfrats. C’est du moins ce que nous avons compris.

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